Construire de la pensée à l’école fondamentale

De l’espace sensible à la géométrie


Cet article se base essentiellement sur les deux sources suivantes :

COROME, Apprentissage et enseignement des mathématiques, Commentaires didactiques.

CREM, Formes et mouvements, chapitre 2 « Les étapes de la conceptualisation ».

L’exploration de l’espace est une des activités essentielles du jeune enfant.
Il l’observe d’abord puis s’y déplace et s’y situe par rapport aux repères fixes ou animés de son environnement, il y fait de nombreuses expériences touchant aux formes et aux relations qu’entretiennent entre eux les différents objets qu’il manipule, qu’il dessine ou qu’il imagine.

Arrivé à l’école, il a déjà élaboré de nombreux concepts comme ceux de distance, de profondeur, de position relative, de volume, de forme, de déplacement, … Il connaît de nombreuses expressions comme avant, arrière, derrière, dessus, dedans, rond, carré, plus grand, plus haut, … Il a déjà un fameux bagage de géométrie « spontanée ».

Les programmes scolaires de géométrie contiennent des chapitres où se retrouvent des concepts et des notions très proches de ce que l’enfant a acquis au cours de ses expériences de vie. Le travail des enseignants sera donc de clarifier les relations qu’entretiennent l’espace dans lequel vit l’enfant et la géométrie en tant que disciplinaire scolaire.

Nous percevons l’espace par le biais des objets perceptibles par nos sens. Les objets géométriques tels que un point, une droite, un angle, un carré, … n’appartiennent pas à cet espace sensible. La géométrie part donc du monde sensible pour se structurer en un univers géométrique. C’est parce qu’il doit agir, anticiper, expliquer, représenter des situations de vie réelle que le monde géométrique va petit à petit se mettre place.

Les étapes de la conceptualisation

Les expériences diverses d’un enfant vont l’amener à organiser ses perceptions diverses d’un même objet ainsi que reconnaître un objet comme appartenant à une catégorie d’objets, c’est-à-dire des choses possédant des caractères communs, une fonction commune et éventuellement une désignation commune.

Cette capacité de catégoriser les objets passe par plusieurs étapes que nous nommerons :

– les préconcepts qui se situent essentiellement au niveau de l’action et de l’intelligence des situations ;

– les objets mentaux qui sont les concepts sur lesquels on s’appuie dans la vie quotidienne ou dans la pratique scientifique élémentaire ;

– les concepts formels c’est-à-dire inscrits dans une théorie construite.

Ces différentes étapes concernent les apprentissages en général. Nous allons les éclairer avec l’exemple du rectangle dans le contexte de l’apprentissage de la géométrie élémentaire.

Les préconcepts

Dans un premier temps, un rectangle est une forme plate que l’on rencontre souvent dans la vie quotidienne. Les premiers rectangles comme les portes et les fenêtres se voient de face avec leurs côtés verticaux stables. On rencontre aussi des rectangles placés horizontalement comme les tables ou des carrelages. Dans les situations que nous venons de décrire, les positions de ces rectangles ne varient pas. Par contre, les pages d’un livre sont des rectangles qu’on peut regarder dans des positions diverses, … Et puis, il y a aussi, les rectangles sur lesquels on peut agir et donc les transformer : une nappe qu’on pose sur une table, une feuille qu’on plie ou qu’on découpe, …

À ce stade, l’enfant manie des rectangles et éventuellement le nomme mais il n’est guère capable d’en parler et d’expliquer ses caractéristiques. Si on lui demande « c’est quoi ? », il répondra « c’est pour … ». À la question « c’est comment ? », il va mimer le rectangle ou le dessiner à main levée.

C’est donc une connaissance qui fonctionne avec une incapacité ou une maladresse dans l’expression. C’est ce qu’on désigne par préconcept.

Les préconcepts fonctionnent essentiellement dans le cadre d’une intelligence des situations. Dans les exemples donnés ci-dessus, on parle de rectangle mais l’attention reste portée sur les objets qui sont en forme de rectangle.

Les objets mentaux

À un deuxième niveau, le rectangle s’installe davantage dans la conscience et le langage. Il est regardé pour lui-même : il est nommé et on parle de côtés horizontaux ou verticaux, de côtés égaux, d’angles droits. Ces caractéristiques sont dégagées des multiples objets familiers qui ont la même forme. Pouvoir les nommer manifeste un degré d’organisation mentale plus complexe. Le langage utilisé pour caractériser le rectangle n’est pas nécessairement un langage mathématique précis.

Ce niveau de connaissance prend sa source dans les expériences sensori-motrices du stade précédent accompagnées de mise en mots pris d’une part dans le registre du quotidien (coin, bords, …) et d’autre part dans le langage mathématique (angle, côtés, …). Ainsi les enfants utiliseront d’abord indifféremment un langage ou l’autre, puis associeront petit à petit coin et angle, bords et côtés, comme des rails et parallèles, comme un fil tendu et droite, …

On appelle objets mentaux, les concepts mobilisés à ce niveau d’activité intellectuelle. Connaître les concepts mathématiques au niveau d’objets mentaux permet de comprendre ce dont on parle et de s’en servir tant qu’on n’attend pas de raisonnement logique formel.

Les concepts formels

Dans les mathématiques constituées, chaque objet est dégagé des objets sensibles qui l’ont fait naître ; il a une existence propre et a une place dans une organisation logique. Ainsi, pour définir le rectangle, il faudra auparavant avoir défini points, droites et segments de droite, polygones, angles droits. Le rectangle est alors défini comme un polygone à quatre côtés dont les quatre angles sont droits.

Conclusion

Il ne faut pas croire que, dans le parcours d’apprentissage, le passage d’un niveau au suivant remplace le précédent. Au contraire, chaque niveau intègre les précédents. Les trois niveaux des concepts sont sollicités dans la pensée mathématique : les deux premiers sont sources d’images et d’intuition et le troisième fournit des instruments de rigueur. À l’école, les trois niveaux doivent être exercés. C’est ainsi qu’il ne faut pas craindre d’entendre des enfants (même grands !) utiliser un vocabulaire géométrique issu du quotidien dans la mesure où cela leur permet de s’expliquer et d’argumenter.