Du carton, des ciseaux, du scotch… Ou un ordinateur ?

Bien des choses sont possibles avec du carton, des ciseaux, une règle, un rapporteur et du scotch : par exemple, découper des polygones, les assembler pour faire des frises, des rosaces et des pavages, couper un polygone en morceaux pour étudier les fractions, réaliser un Tangram et inventer toutes sortes de formes.
Réaliser des polygones en carton, c’est long mais instructif. Il faut les construire avec des instruments de dessin, puis les découper soigneusement. Certaines firmes en fournissent de tout préparés, en plastique. Parfois l’enseignant y passe son dimanche.
L’an dernier, le Ministère de l’Éducation a diffusé dans toutes les écoles un logiciel appelé Apprenti Géomètre (AG). Celui-ci permet d’amener à l’écran des polygones avec lesquels les mêmes découpages et assemblages sont possibles.
On peut faire la même chose avec des moyens traditionnels simples et avec l’ordinateur. Où est la différence et à quoi bon ?


Avec AG, on appelle un polygone à l’écran à partir d’un menu déroulant où il est désigné par son nom, et ensuite on le duplique autant de fois que l’on veut, d’un clic de souris.
Un élève qui déverse la boîte de polygones en carton devant lui les fait tomber sur la table dans les positions les plus arbitraires, dispersés ou se chevauchant. En somme, un tas informe. Dans AG, les polygones apparaissent un par un (un clic chaque fois) et toujours dans la même position privilégiée, avec un axe de symétrie vertical ou un côté horizontal.

L’élève peut mouvoir les polygones en carton de façon spontanée, et leur imprimer les mouvements les plus libres, y compris les moins maîtrisés. Dans AG, on choisit un mouvement en l’appelant par son nom : glisser, tourner ou retourner. Glisser déplace le polygone sans le faire tourner, ni le retourner. Tourner le fait tourner en quelque sorte sur place, sans le faire glisser ni le retourner. Enfin, retourner l’amène sur son autre face sans le faire glisser ni tourner. Ainsi, l’univers des mouvements dans AG est simple et ordonné. On peut y réaliser les mouvements les plus généraux, mais seulement en enchaînant de manière réfléchie glisser, tourner et retourner.

Pour découper des polygones en carton en passant par des points de division précis sur ses côtés, on doit, avec une règle graduée ou autrement, diviser certains côtés en deux, trois,… segments égaux. Dans AG, il suffit d’appeler dans un menu déroulant l’opération de diviser en deux, trois, …, et clic, c’est fait.

Pour assembler deux polygones en carton côté contre côté, il faut maîtriser le tremblement de ses mains, et l’assemblage est à la merci d’un geste maladroit ou d’un courant d’air. Dans AG, les polygones, tracés avec une extrême précision, s’assemblent parfaitement grâce à une attraction appelée magnétisme.

On peut fusionner deux polygones en carton jointifs en les collant avec du scotch. Dans AG, on appelle l’opération fusionner, et clic, c’est fait. En outre, les polygones de départ demeurent à l’écran, tandis que quand on a solidarisé deux polygones en carton avec du scotch, on ne peut plus les manier séparément.

Que choisir ?

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On pourrait continuer ainsi pendant un moment encore la comparaison des deux univers, celui des cartons et celui de AG. Arrêtons-nous ici pour poser la question essentielle : l’un est-il meilleur que l’autre ? L’un remplace-t-il l’autre ? Comparons point par point.

Construire des polygones sur une feuille de carton, c’est très instructif. Mais si c’est l’enseignant qui le fait… Dans AG, on ne les construit pas, ils sont tout faits. Les découper exerce la précision et la motricité fine. Dans AG, on ne les découpe pas, on les a.

Il peut être intéressant de s’apercevoir qu’un triangle carton, par exemple rectangle et non isocèle, peut tomber de la boîte par hasard sur une face ou sur l’autre, et que parfois, quand on fait glisser deux triangles identiques (isométriques) de cette sorte sur le plan de la table, on ne peut pas les superposer. Mais il peut être intéressant aussi de ne découvrir les triangles de cette sorte que sur une seule face (c’est ce qui se passe dans AG) et de ne les obtenir sur l’autre face qu’à la suite d’une action consciente appelée retourner.

Il peut être intéressant d’avoir à diviser un segment en deux, trois,… segments égaux. Si on s’interdit les mesures, on peut diviser en deux par pliage et en quatre par deux pliages, mais en trois, et en cinq ? Par tâtonnement ? En recourant au théorème de Thalès ? Il peut être intéressant, à un certain stade des études, de disposer de segments impeccablement divisés en deux, trois, cinq,… de manière automatique.

On pourrait poursuivre ainsi la comparaison. Mais que conclure ? L’un est-il plus intéressant que l’autre ? Mais non. Cela semble pareil, mais ne l’est pas. AG, par rapport aux cartons et aux plastiques, est un champ d’expériences différent, original. À chaque enseignant de trancher, dans chaque cas.