Est-il vrai comme certains le pensent qu’on peut faire dire aux graphiques ce qu’on veut ? Et n’importe quoi ? Y a-t-il des graphiques objectifs et d’autres trompeurs ? Tout graphique ne délivre-t-il pas un message ?
Est-il vrai comme certains le pensent qu’un lecteur avisé en vaut deux ? Et que c’est en “graphiquant” qu’on devient critique ?
Le climat de façon générale et les émissions de CO2 en particulier sont des sujets controversés et à l’origine de graphiques divers.
Public visé
Enseignement secondaire (à partir de la troisième année) et supérieur.
Enjeux
1. Lire et interpréter un graphique cartésien et un graphique en aire.
2. Déjouer les pièges des graphiques trompeurs.
3. Calculer un indice, faire le lien entre une variable et l’indice associé.
4. Analyser des données à partir de plusieurs graphiques traitant d’un même thème.
5. Argumenter et débattre à partir de données chiffrées.
1 En débat
Consignes
Parmi les 8 graphiques qui sont proposés, trouver le (les) graphiques qui défend(ent) le mieux le propos ci-dessous (chaque sous-groupe se voit attribuer un propos.[1]Les figures 3, 5 à 8, ainsi que les données qui ont servi à réaliser les figures 1, 2 et 4, sont extraites du site Our World In Data à l’adresse https://ourworldindata.org/co2-emissions. … Continue reading
Propos 1
« Vous voulez forcer l’Inde, la Chine et le reste du monde à arrêter leur croissance ? De quel droit, vous, européen pouvez-vous le faire quand on connait votre passé de plus grand émetteur de CO2 ?»
Propos 2
« Que peut-on faire pour le climat dans notre pays ? Les 27 pays de l’Union Européenne ont déjà fait du chemin. C’est à la Chine et à l’Inde que revient maintenant l’obligation de faire des efforts. »
Propos 3
« Les champions des émissions de CO2 dans le monde, ce sont les Américains. »
Propos 4
« Les pays d’Asie ou d’Amérique latine se développent et c’est sans doute le meilleur moyen pour eux de se protéger contre les dégâts climatiques (un cyclone fait moins de dégâts en Floride qu’aux Philippines). Et ils font ce qu’ils peuvent pour limiter leurs émissions de CO2, mais en mettant leur développement en priorité. »
Propos 5
« La croissance des émissions de CO2 dans le monde est exponentielle. »
Propos 6
« En matière d’émissions de CO2, celui qui fait le procès de l’Inde, voire de la Chine n’a pas regardé les chiffres. »
Éléments de solution
Propos 1
« Vous voulez forcer l’Inde, la Chine et le reste du monde à arrêter leur croissance ? De quel droit, vous, européen pouvez-vous le faire quand on connait votre passé de plus grand émetteur de CO2. »
Supposons qu’en plus d’être européen, je sois belge. Alors la figure 4 montre que par personne, entre 1990 et 2019, on produit plus de CO2 en Belgique qu’en Chine, qu’en Inde et qu’au Brésil.
Les figures qui prennent en compte l’effet cumulé des productions de CO2 de 1751 à 2017 (figures 7 et 8) ou à 2019 (figure 9), montrent que les émissions ont été plus fortes en Europe qu’en Asie ou qu’en Amérique du sud sachant que le Royaume-Uni dépassait les pays d’Europe des 27 jusqu’à un peu après 1900 (figure 8).
Propos 2
« Que peut-on faire pour le climat dans notre pays ? Les 27 pays de l’Union Européenne ont déjà fait du chemin. C’est à la Chine et à l’Inde que revient maintenant l’obligation de faire des efforts. »
La figure 1 montre que la Chine émet, en 2019, sept fois plus de CO2 qu’en 1980, l’Inde huit fois plus tandis que l’Europe (et la Belgique en particulier) en émet moins.
La figure 5 montre que la Chine est le plus grand émetteur de CO2 en 2017. Et la figure 6 montre que c’est encore le cas en 2018 et en 2019.
Propos 3
« Les champions des émissions de CO2 dans le monde, ce sont les Américains. »
La figure 4 indique qu’entre 1980 et 2019, les États-Unis sont les plus gros émetteurs de CO2 par personne dans le monde.
La figure 8 nous apprend de surcroît qu’en ce qui concerne le cumul des émissions entre 1751 et 2017, les États-Unis arrivent en tête du classement.
Propos 4
« Les pays d’Asie ou d’Amérique latine se développent et c’est sans doute le meilleur moyen pour eux de se protéger contre les dégâts climatiques (un cyclone fait moins de dégâts en Floride qu’aux Philippines). Et ils font ce qu’ils peuvent pour limiter leurs émissions de CO2, mais en mettant leur développement en priorité. »
La figure 2 laisse penser que ces dernières années, la Chine et l’Inde stabilisent leur production annuelle de CO2.
Propos 5
« La croissance des émissions de CO2 dans le monde est exponentielle. »
La courbe supérieure de la figure 6 qui caractérise la production mondiale de gaz carbonique a des allures de croissance exponentielle. Particulièrement entre 1940 et 1980, durant cette période les émissions doublent tous les 20 ans.
Propos 6
« En matière d’émissions de CO2, celui qui fait le procès de l’Inde, voire de la Chine n’a pas regardé les chiffres. »
La figure 4 fait état d’émissions de CO2 annuelles et par personne, qui sont basses en Inde et comparables à l’Europe des 27 en Chine depuis 2014.
La figure 7 montre qu’entre 1750 et 2017 la contribution de la Chine aux émissions de CO2 est bien inférieure à celle des États-Unis et de l’Europe des 28.
La figure 8 laisse croire qu’entre 1750 et 2019 la contribution de la Chine aux émissions de CO2 est petite par rapport à celle des États-Unis et minime par rapport à celle de l’Europe hors Union européenne des 27 (c’est le Royaume uni qui est principal émetteur)… « Laisse croire » si on se fie aux aires déterminées par les courbes. Mais peut-on se fier aux aires ? Nous y reviendrons à la question suivante.
2 Analyse
Consignes
Interpréter chaque graphique. ? Quels sont les pièges ?
Comment passer du graphique 2 au graphique 1 et au 4 ? Et du graphique 6 au 8 ?
À quoi correspondent les aires déterminées par les courbes à la figure 8 ?
Éléments de solution
Figure 1 Elle montre l’évolution des émissions de CO2 entre 1980 et 2019 pour cinq entités géographiques de tailles très différentes. L’axe des ordonnées est gradué en pourcents. On a considéré des indices, et non des productions, à partir de l’année 1980 choisie comme référence. Pour ce faire, il a fallu diviser pour chaque entité géographique considérée et pour chaque année, la production annuelle de CO2 par celle de 1980. Ce que le graphique montre, c’est par exemple que sur cette période, la production de CO2 a été multipliée par 7 en Chine, plus que par 8 en Inde et a diminué en Belgique.
Figure 2 La situation apparaît toute différente de ce qu’on observe à la figure 1. L’Inde est largement en-dessous des autres entités considérées. Ce n’est qu’à partir de 2006 que la Chine dépasse les États-Unis. Quelle en est la cause ? Une industrialisation galopante ? La consommation de charbon ? A moins que ce soit aussi dû à la taille de la population ? Il faudrait donc considérer les émissions par habitant ?
On peut passer du graphique de la figure 2 à celui de la figure 1 en divisant, comme nous l’avons écrit plus haut, pour chaque entité géographique considérée la production de chaque année par celle de 1980 .
Figure 3 Il s’agit du même graphique que celui de la figure 2 mais en considérant un intervalle de temps beaucoup plus grand. Ce qui donne aux différentes courbes, chacune caractérisant une entité géographique, des allures très différentes.
Figure 4 Quelle différence avec les graphiques précédents ! On considère ici les émissions par habitant. Ce sont les États-Unis qui caracolent largement en tête. La Belgique est au-delà de la Chine. Le Brésil et l’Inde restent à des émissions très faibles.
On peut passer du graphique de la figure 2 au graphique de la figure 4 en divisant pour chaque année et pour chaque entité géographique, les émissions par le nombre d’habitants que compte cette entité pour cette année.
Pour les figures 1 à 4, on considère des émissions globalisées sur l’année. En abscisse, on représente les années ; en ordonnée, ce sont des indices (figure 1) ou des poids (figures 2 à 4). Pour chaque année, il y a donc un point sur le graphique mais ce sont des courbes qui ont été représentées. Peut-on lier les points pour en faire des courbes ? Quel sens ont ces morceaux de courbes qui relient les points ? Les points des courbes dont les abscisses sont non entières ne correspondent à rien. Le rôle des courbes est simplement de mieux faire percevoir l’évolution des émissions d’année en année.
Figure 5 L’aire du grand rectangle représente l’émission globale de CO2 durant l’année 2017. Le rectangle lui-même est divisé en certain nombre des rectangles, chacun associé à un pays ou un continent. Le rapport de l’aire de chacun d’eux à l’aire du grand rectangle est égal au rapport des émissions de CO2 durant l’année 2017 par le pays ou le continent concerné à l’émission globale de CO2 de même année 2017. Ce rapport est exprimé en pourcentages.
Figure 6 Ce graphique nous renseigne sur la production totale annuelle de CO2 par région, pour un année donnée. Chaque courbe séparant deux aires de couleurs différentes correspond à la production cumulée des régions représentées sous cette courbe. La courbe qui délimite les aires “jaune” et “orange”, par exemple, correspond à la production totale annuelle de CO2 de l’Europe des 27. La courbe qui délimite les aires “orange” et “bleu turquoise” correspond à la production totale annuelle cumulée de CO2 de l’Europe des 27 et des autres pays d’Europe. Et ainsi de suite…
Mais à quoi correspond l’aire en dessous de la première courbe ou entre deux courbes successives ? On peut associer chacune de ces aires aux émissions totales de CO2 entre 1950 et 2019, de l’entité géographique associée.[2]La preuve en est donnée dans un autre article qui s’intitule « Graphiques : construire, lire et interpréter à l’adresse … Continue reading
Figure 7 À chaque pays est attribué un rectangle dont l’aire est proportionnelle aux émissions cumulées de CO2 durant les années allant de 1751 à 2017.
Figure 8 Chaque courbe nous renseigne sur le rapport (en pourcents) des émissions cumulées de CO2 depuis l’année 1751 jusqu’à une année donnée pour une région donnée aux émissions cumulées de CO2 pendant cette même période pour la planète entière.
Pour une abscisse donnée, c’est-à-dire une année donnée, on peut donc passer du graphique de la figure 6 à celui de la figure 8 en cumulant, d’une part, pour chaque entité géographique considérée et d’autre part pour la planète entière, les valeurs des émissions entre 1751 et cette année, puis en faisant le rapport de ces deux valeurs.
Figure 9 Le graphique reprend pour un certain nombre de régions du monde et pour chaque année, la part de la production cumulée de CO2 depuis 1751. L’impact de l’Europe à l’exclusion des 27 pays de l’Union européenne (il s’agit principalement d’émissions du Royaume Uni) semble énorme au vu de l’aire “orange”. Mais c’est trompeur car cette aire n’a pas de sens mathématique. En ordonnée, on a ramené pour chaque année, les émissions cumulées jusqu’à cette année et pour la planète entière, à 100 %. En 1751, ces 100% d’émissions mondiales cumulées correspondent à 9,35 millions de tonnes ; tandis qu’en 2017, ils correspondent à 1,58 mille milliards de tonnes. Soit 150 000 fois plus… Un graphique en bâtonnets dont la hauteur est proportionnelle aux émissions annuelles de toute la planète, eut été plus judicieux dans ce cas de figure.
Notes
↑1 | Les figures 3, 5 à 8, ainsi que les données qui ont servi à réaliser les figures 1, 2 et 4, sont extraites du site Our World In Data à l’adresse https://ourworldindata.org/co2-emissions. Consulté le 4 février 2021. |
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↑2 | La preuve en est donnée dans un autre article qui s’intitule « Graphiques : construire, lire et interpréter à l’adresse https://wp.gem-math.be/2021/02/08/graphiques-construire-lire-et-interpreter/. |